L’Atlas Catalan, mappemonde réalisée à Majorque vers 1375, et offerte au roi Charles V de France par le roi d’Aragon, montre, au pied de la feuille de vélin représentant la partie la plus occidentale de la carte, un navire à coque noire portant une grande voile carrée, arborant le pavillon aragonais, se dirigeant vers la côte africaine. Une note accolée au dessin explique que Jacme Ferrer a pris la mer le 10 août 1346 pour rechercher le riu de lor.
Un dessin comparable se retrouve, avec quelques variantes, sur la carte de Mecia de Viladestes (1413), où se voit en outre le dessin d’un fleuve dénommé riu de lor.
L’existence d’un fleuve de l’Or, situé sur la côte d’Afrique au-delà du cap Bugeder, est par ailleurs rapportée dans Le Canarien, récit de la conquête des Canaries au tout début du XV° siècle, par Jean de Béthencourt. Les franciscains Pierre Bontier et Jean Le Verrier, auteurs du récit, y font état de la relation du voyage, intervenu vers 1350, d’un moine espagnol, le « frère mendiant ». Le périple du moine l’aurait notamment conduit, à bord d’une galère armée par des Maures, depuis le Maroc jusqu’au fleuve de l’Or, dont l’appellation avait clairement rapport avec les grains d’or que l’on y trouvait en abondance. Béthencourt lui-même ne faisait pas mystère de son intention de visiter la terre ferme africaine jusque vers ces prometteuses contrées.
L’Afrique de l’ouest, de fait, pourvoyait largement, au Moyen Âge, aux besoins en or des nations d’Europe. Poudre et grains d’or y étaient acheminés depuis le « pays des Soudan », d’abord par les caravanes transsahariennes, ensuite par les marins, principalement génois ou vénitiens, de Méditerranée. L’opulence des souverains des régions aurifères était symbolisée, dans les cartes majorquines, par la représentation du Mussé Melli, seigneur de Guinée, tenant en sa main droite une volumineuse boule d’or.
L’accès direct à ces richesses, par le contournement des terres soumises au contrôle des Maures, était l’un des principaux objectifs des navigations au long des côtes atlantiques de l’Afrique entreprises au XV° siècle par les Portugais.
Dans la Chronique de Guinée, où il fait, en 1453, le récit des premières avancées portugaises sur la côte africaine, Gomes Eanes de Zurara expose comment Afonso Gonçalves Baldaia, envoyé par l’Infant, parvint en 1436, deux années après le franchissement du cap Bojador par Gil Eanes, à la rivière de l’Or. Zurara décrit un estuaire pénétrant sur 8 lieues dans l’intérieur des terres, semblant être celui d’un fleuve abondant, doté de bons mouillages. Il situe le fleuve à 120 lieues du cap Bojador, selon une évaluation généreuse. Le rio de Ouro, qui devait être régulièrement visité par les navigateurs portugais, était en fait distant de 54 lieues du cap Bojador. Il s’agissait, non pas d'un véritable fleuve, mais d'un accident de la côte, celui correspondant, selon toute vraisemblance, à l'actuelle baie de Dakhla. L'auteur du manuscrit dit de "L'anonyme de Carpentras", abordant les lieux en 1618, y relève déjà que "cette rivière est d'eau salée" (cf. Jean-Pierre Moreau, Un flibustier français dans la mer des Antilles, Petite bibliothèque Payot, 2002, page 53). Nul fleuve ne se montre aujourd’hui, en tout cas, à l’emplacement de la rivière d’Or longtemps signalée par les cartes marines européennes (voir par exemple, sur la base des données de Luis Teixeira, cartographe de la couronne portugaise, la carte d'Afrique de l'ouest publiée vers 1650 par Petrus Plancius à Amsterdam, ou, pour une représentation du XVIII° siècle, la carte de l’océan occidental de Bellin, ou encore, pour une description plus détaillée de 1783, la carte anglaise de la côte occidentale d’Afrique depuis le cap Noun jusqu’au cap Blanc visible sur le site de la BNF).
Sans doute à l’origine de l’appellation de l’ancienne province espagnole du rio de Oro, au Sahara occidental, le lieu ne recelait pas de ressources aurifères justifiant pareille désignation. La rivière de l’Or fut ainsi nommée, semble-t-il, en référence au premier troc ayant permis aux Portugais d’acquérir de l’or auprès de caravaniers maures.
Le rio de ouro des portugais était-il celui-là même que désignaient les portulans majorquins dès le XIV° siècle, ou qu’évoquait le récit de voyage du « frère mendiant » rapporté dans Le Canarien ? Tout invite à répondre par la négative.
Indépendamment des arguments touchant à l’origine de l’appellation de la rivière de l’Or des Portugais, l’évocation des distances n’est pas en faveur de l’assimilation des lieux. Dans Le Canarien, se référant au livre du frère mendiant, le fleuve de l’Or est à cent cinquante lieues françaises du cap Bojador, distance (de l’ordre de 750 km) un peu supérieure aux 120 lieues aperçues par Zurara, mais de beaucoup aux 54 lieues séparant effectivement les deux sites.
L’examen attentif des portulans majorquins conduit également à distinguer entre la rivière de l’Or atteinte par Gonçalves Badaia et le riu delor recherché par Jacme Ferrer. Sur l’Atlas Catalan, déjà, où les détails ne sont pas de hasard, le voilier de Ferrer se dirige vers un point de la côte africaine situé largement au sud du cap Buyetder. La carte de Mecia de Viladestes est plus explicite, faisant du riu delor le point d’accès, sur la côte atlantique, d’un long fleuve qui, traversant le continent et bordant notamment Tombouctou (Tenbuch), se joint finalement au Nil. Le dessin reflète la confusion, qui sera longtemps entretenue, entre le fleuve Sénégal, le Niger et le Nil.
Zurara rapporte, de fait, comment les caravelles de Gomes Pires arrivèrent en 1445 au « fleuve du Nil, du côté où il vient se jeter dans la mer du Ponant, fleuve qu’on appelle Sanaga ».
Si donc le rio de ouro des Portugais n’était pas le riu delor des Majorquins, et que ce dernier n’était autre que le fleuve Sénégal d’aujourd’hui, il reste à conclure que les côtes sénégalaises avaient été reconnues au moins un siècle avant que les Portugais n’en fassent une exploration systématique.