Depuis le mois de février 2025, le service de cartographie Google Maps désigne par l’appellation de « Golfe d’Amérique », du moins pour les usagers situés aux États-Unis, la mer qui est entourée par la Floride, la Louisiane, le Texas, le Mexique et l’île de Cuba. Pour les utilisateurs situés au Mexique, est conservé le terme de « Golfo de Mexico ». Pour les usagers d’autres pays, les deux noms sont juxtaposés, celui de Golfe du Mexique étant suivi, entre parenthèses, de celui de Golfe d’Amérique.
Cette innovation dans la toponymie marine a fait suite au décret, signé le 20 janvier précédent par le président Trump et avalisé par la Chambre des Représentants, changeant le nom du golfe du Mexique pour en faire un « golfe d’Amérique ».
Le plus souvent évoqué dans ses aspects politiques ou diplomatiques, ce changement est l’occasion de revenir sur l’histoire de l’appellation de l’espace concerné sur les cartes marines.
Elle est en vérité assez simple et témoigne d’une grande constance, chez les cartographes, pour désigner d’un même nom une même mer, quels qu’aient été les changements intervenus dans la possession ou l’administration des terres qui l’entourent.
Une hésitation se manifeste, aux tout débuts de l’établissement d’une cartographie détaillée des Amériques, lorsqu’il s’agit de nommer l’espace marin qui est entre la Nouvelle Espagne à l’ouest, la « Nueva Galitia » au nord, la Floride et Cuba à l’est :
Dans sa carte d’Amérique (Americae sive quartae orbis partis nova et exactissima descriptio) de 1562, gravée par l’Anversois Hieronymus Cock, le cosmographe du roi d’Espagne Diego Guttierez retient l’appellation de "Golfo de la Nueva Espana". Il reprenait ici le nom choisi par Hernan Cortés pour baptiser les territoires conquis sur l’empire aztèque, au nom de la couronne d’Espagne, entre 1519 et 1521. Pour leur administration avait été créée en 1535 la vice-royauté de la Nouvelle Espagne.
Dans une carte de l’Amérique du Nord publiée à Venise en 1565, Paolo Forlani désigne la même mer du nom de "Golfo Mexicano", le terme étant repris par les cartographes vénitiens de la même époque (v. la deuxième version de la carte précédente publiée en 1566 par Bolognino Zaltieri, et la carte du nouveau monde publiée en 1572 par Tomasso Porcacchi).
La seconde désignation devait s’imposer auprès de la généralité des cartographes.
Le Français André Thevet montre le « golfe Mexique » entre la Floride et la Nouvelle Espagne sur sa carte d’Amérique (Quarte partie du monde) réalisée en 1575.
Dans son planisphère publié à Anvers en 1589 (Totius Orbis Cogniti Universalis Descriptio), le Flamand Cornelis de Jode, fait apparaître un « golfo mexicano » sous une « Florida » largement étendue à l’ouest de la péninsule de même nom. Le « golfe de Mexico » se retrouve dans la carte d’Amérique du Nord insérée dans son Atlas Speculum orbis terrae publié en 1593, souvent regardé comme inspiré du célèbre Theatrum Orbis Terrarum d’Abraham Ortelius, édité à partir de 1570, dans lequel, cependant, le golfe qui s’étend de la Nouvelle Espagne à la Floride ne reçoit pas de dénomination particulière.
Théodore de Bry mentionne un mexicano sinus sur une carte publiée à Francfort en 1591, et un golfo mexicano dans sa carte des Amériques centrale et du sud (americae pars magiscognita) de 1592.
D’autres grandes figures de la cartographie flamande reprennent l’appellation de « Golfo Mexicano ». Elle se voit en particulier sur la mappemonde et la carte d’Amérique ((America sive India Nova) de l’Atlas de Gérard Mercator, publié pour la première fois en 1595, après le décès du géographe.
Jodocus Hondius, qui devait par la suite assurer la réimpression de l’Atlas de Mercator, utilise à nouveau, pour désigner le même golfe, l’expression latine de « Mexicanus Sinus » en décrivant la moitié occidentale du monde des Chevaliers chrétiens, sur une carte publiée vers 1597, puis sur sa carte des Amériques réalisée, vers 1606, pour une nouvelle édition de l’Atlas Mercator Sive Cosmographia,
Le golfo de Mexico, entre le Yucatan, Nova Hispana, Florida et Cuba, occupe une large partie de la superbe carte des Indes occidentales (Insulae Americanae in oceano septentrionali, cum Terris adjacentibus) de Willem Janszoon Blaeu, basée sur la carte des îles Caraïbes de Hessel Gerritz (1631), et figurant dans le célèbre atlas Theatrum Orbis Terrarum, sive atlas novus, publié à partir de 1640.
Les cartographes français du XVIIème siècle conservent l’appellation de Golfe du Mexique, retenue par Guillaume Sanson dans sa carte de l’Amérique septentrionale de 1650, par Pierre Du Val d’Abbeville, dans la carte Amérique, autrement nouveau monde et Indes occidentales, de 1655, ou par Alexis Hubert Jaillot dans sa carte de l’Amérique septentrionale (1674).
Les productions cartographiques d’autres pays se conforment à la même pratique. La carte d’Amérique du Nord (America borealis, 1699) de Heinrich Scherrer, qui figurera dans son Atlas Novus publié à Munich entre 1702 et 1710, reprend la version latine de « Sinus Mexicanus ». Les cartographes italiens désignent le « golfo del Messico » (Giacomo Giovanni Rossi, L’America Settentrionale, Rome, 1677) ou le « Golfo del Mexico » (America sttentrionale.., Vincenzo Coronelli, 1688). Edward Wells montre un « golf of Mexico » sur sa carte d’Amérique du nord publiée vers 1700.
Aucun changement dans la dénomination du golfe ne s’observe au cours du XVIIIème siècle. Le « gulf of Mexico » se voit sur les cartes anglaises (par exemple, sur la nouvelle carte des parties septentrionales de l’Amérique, publiée en 1720 par Hermann Moll, ou la carte d’Amérique du Nord publiée à Londres en 1752 par Richard William Seale), lorsque le « sinus mexicanus » est mentionné sur la carte d’Amérique de l’Allemand Mattheus Seutter (Novus Orbis Sive America Meridionalis et Septentrionalis…, Augsbourg, 1730), et que le « golfe de Mexique » ou « du Mexique » continue d’être identifié sur les cartes françaises (voir par ex., la carte réduite des isles de l’Amérique et du golfe de Mexique de Philippe Buache de 1724, la carte des îles de l’Amérique de Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville de 1731, la carte de l’Amérique septentrionale de Robert de Vaugondy de 1750, ou la carte de « L’Amérique divisée en ses principaux États » de Rigobert Bonne de 1779), Nicolas Bellin préférant parfois la graphie de « golphe » précédant la précision « du Mexique » (cf. la carte de l’Amérique septentrionale de 1755 ou la carte réduite du Golphe du Mexique et des Isles de l’Amérique, de 1754, illustrant l’Histoire générale des Voyages de l’abbé Prévost).
Cet usage toponymique n’est pas affecté par les changements intervenus dans l’organisation politique de l’Amérique du Nord, qu’il s’agisse de la cession à l’Espagne de la partie occidentale de la Louisiane française par le traité de Fontainebleau de 1762, ou de l’accession à l’indépendance des treize anciennes colonies du royaume de Grande-Bretagne.
Les premiers atlas publiés aux États-Unis après l’indépendance, l’Atlas américain publié par Mathew Carey à Philadelphie en 1795 (voir la carte 21, a chart of the West Indies) et celui de John Reid, publié à New-York en 1796 (voir la General map of North America), conservent le « gulf of Mexico » des cartographes anglais (voir pour ceux-ci, par ex., la carte des îles des Antilles de Thomas Jefferys, Londres, 1794),
La rétrocession de la Louisiane à la France par l’Espagne en 1800, puis sa vente aux États-Unis par Bonaparte en 1803, n’affectèrent nullement une pratique paraissant définitivement consacrée. En témoignent les cartes d’Amérique du début du XIXème siècle, qu’elles soient françaises (cf. L’Amérique septentrionale de Conrad Malte Brun, Paris, 1812), anglaises (cf. la carte d’Amérique du Nord de Richard Phillips, Londres, 1808), ou américaines (v. Carey & Lea, North and South America, Philadelphie, 1822).
L’appellation de golfe du Mexique pourrait paraître plus appropriée à l’environnement politique régional, lorsque, en 1821, disparaît la vice-royauté de Nouvelle Espagne, pour faire place au Mexique indépendant. Son antériorité établit plutôt qu’elle ne devait rien précisément, à son rattachement à une juridiction voisine, tardivement apparue sous une dénomination inspirée de celle attribuée à une ville, Mexico, capitale de la Nouvelle Espagne avant d’être celle de l’empire mexicain.
Toujours est-il que le « gulf of Mexico » est invariablement identifié sur toutes les cartes américaines du XIXème siècle (cf. North America, Antony Finley, Philadelphie, 1824, et les cartes de Tanner, Burr, Phelps, Mitchell, Monk, Colton, Johnson, Gilpin, ou Gray), sans être autrement mis en question par la reconfiguration du Mexique faisant suite aux mouvements séparatistes qui le privent d’une partie des territoires relevant auparavant de la Nouvelle Espagne, notamment du Texas en 1835, et à la guerre américano-mexicaine de 1846-1848, conduisant à l’annexion par les États-Unis de la Californie et du Nouveau-Mexique.
Les cartes européennes montrent, selon leur origine, le « golfo de Mejico, », le « Golfo del Messico », le « golf von Mexico », le « gulf of Mexico » (avec l’alternative « Mexican sea » sur la carte anglaise North America de Hinton, Simpkin & Marshall, Londres 1832) ou, pour la cartographie française (notamment chez Levasseur, Dufour, Perigot ou Masson), le « golfe du Mexique ».
Les mêmes usages sont conservés au XXème siècle et dans le premier quart du XXIème siècle.
Le changement de dénomination décidé par le Président Trump est assurément inspiré par l’objectif Make America Great Again, où le mot America doit probablement s’entendre des États-Unis, et qui ne serait pas jugé compatible avec la conservation, pour désigner une mer dont le littoral ne relève pas principalement de la juridiction du Mexique, d’un nom laissant supposer qu’elle dépend de cet État.
Historiquement, pourtant, l’appellation de « golfe du Mexique » n’est pas liée, on l’a rappelé, à son rattachement à un Etat qui porterait ce nom, même si elle a évidemment à voir avec la région relevant jadis du vice-royaume de la Nouvelle Espagne, et depuis le XIXème siècle, du Mexique, dont la capitale est demeurée Mexico.
Détachée d’un sens proprement politique, le toponyme cartographique de « golfe du Mexique », très tôt adopté, et durablement conservé, trouve un intérêt particulier dans la considération de son origine. L’étymologie du mot Mexico, utilisé pour désigner la capitale de l’empire aztèque, ne fait pas consensus, même si l’interprétation dominante rattache le terme à une symbolique lunaire. Il n’y a aucun doute, en revanche, sur la source amérindienne du terme, issu du nahuatl, une langue de la famille de langues originaires d’Amérique du Nord et d’Amérique centrale dite uto-azteque,
Avec le « golfe du Mexique » ou le « gulf of Mexico » a été longuement conservée, ainsi, une claire référence à la civilisation d’origine de la région concernée, préférée à une dénomination inspirée de la culture de conquérants venus de l’extérieur.
Bien d’autres exemples de ces traces de la culture des origines se retrouvent dans les dénominations, toujours actuelles, d’espaces maritimes, d’îles ou de terres américains, parfois proches du golfe du Mexique.
Ainsi, de la mer des Caraïbes, dont l’appellation aurait pour origine le mot de Carib par lequel se désignait lui-même un groupe amérindien originaire du Venezuela, et présent aux Antilles à l’arrivée des Européens dans le Nouveau Monde. Du mot Cariba était proche celui de Caniba, d’où aurait été tirée l’expression d’îles Canibales, donnée aux îles des Petites Antilles par certains cartographes du XVIème siècle[1].
Pour les îles des Antilles, l’origine exacte du nom portée par celle de Cuba est discutée, certains la trouvant dans des mots de la langue taino, d’autres dans des termes de la langue arawak, mais qui, dans tous les cas, ne doivent rien à la culture hispanique. On s’accorde pour reconnaître au nom de Jamaïque le sens de « terre de bois et d’eau » en langue arawak. La République d’Haïti a été désignée de la sorte par Jean-Jacques Dessalines, lors de son indépendance en 1804, en référence au terme Ayiti employé par les Tainos, présents dans l’île avant l’arrivée des Espagnols. Les noms d’Aruba, Bonaire, peut-être de Curaçao, ont également une origine amérindienne.
Sur la partie centrale du continent, le nom de Guatemala proviendrait d’un mot nahuatl signifiant « le pays de l’oiseau qui mange des serpents ». Celui de Nicaragua serait également d’origine nahuatl ; il proviendrait du nom du chef Nicarao, qui régnait sur la région à l’arrivée des conquistadors. Le mot Belize proviendrait d’une langue maya, et signifierait « route vers la mer ».
En Amérique du Sud, d’autres noms de pays (Pérou, Chili, Paraguay, Uruguay Surinam, Guyane) trouvent une origine amérindienne.
La nouvelle désignation de « golfe d’Amérique », visant à rectifier la hiérarchie entre les États de sa périphérie à laquelle la désignation antérieure de golfe du Mexique ne prétendait pas nécessairement, a plutôt l’effet, ainsi, de s’inscrire à contre-courant des efforts contemporains visant à reconnaître la culture et les droits des « first nations » d’Amérique, pour ajouter, par l’usage d’une dénomination venue d’Europe, un complément à l’histoire d’une dépossession ouverte avec les conquistadors.